Les plateaux

On entend souvent parler du terme de plateaux dans le milieu sportif.
Les plateaux sont ces moments ou on semble avoir “tout appris” et qu’on ne voit aucune progression évidente à partir de là.
Ce sont pour beaucoup des moments de frustration, de stagnation et souvent d’abandon.
J’en parle dans mon article sur les combattants qui semblent bons dès le départ, mais les plateaux peuvent souvent être signes que vous arrivez à un moment dans votre escrime ou pour progresser, vous avez besoin de certains prérequis dans votre savoir-être qui ne sont pas encore disponibles.
Si vous n’avez aucune patience et que vous ne faites que foncer tête baissée en combat, ça vous donnera beaucoup de lutte à succès, beaucoup d’effondrement chez vos adversaires, mais il est possible que votre défense soit inférieure et contre un adversaire qui sait vous éviter et vous anticiper, vous serez vulnérable comme un débutant.
Inversement, il est possible que vous ayez développé une bonne capacité de défense et de gestion de la distance, donc vous êtes capable de vous protéger d’assauts et même faire des coups vicieux comme des attaques aux mains à la limite de la portée, mais dès que le combat s’engage avec intensité, vous n’êtes pas capables de suivre. Ça peut-être dû à une faible combativité, une peur intrinsèque de la confrontation, une peur de se blesser ou une aversion à l’effort physique intense ce qui vous ralentit voir vous empêche de vous commettre dans le feu de l’action.
Il peut y avoir des centaines de raisons pour lesquelles vous stagnez sur un plateau. Et bien entendu, chaque humain ayant un parcours fort différent, il est difficile d’arriver à une réponse universelle et facile pour dépasser ces plateaux.
Par contre, je pense qu’on peut appliquer une forme de protocole relativement simple pour dépasser ces plateaux. Par simple, je ne veux bien entendu pas dire facile, mais bien “simple à appliquer”.
Tout d’abord, si vous vous exposez sans cesse à faire quelque chose dans lequel vous n’êtes pas bon, éventuellement vous allez apprendre. Donc à défaut de savoir exactement ce qui bloque à l’intérieur de votre âme et conscience, on peut quand même vous exposer à l’action qui ne marche pas sans cesse, jusqu’à ce que les barrières s’effritent et s’effondrent. Ce dont vous avez besoin se développera alors naturellement jusqu’à vous permettre de passer la barrière.
La chose à savoir, déjà, c’est que cela se fera surtout bien en combat libre dans lequel vous allez vous mettre des restrictions à vous-mêmes.
La seconde chose à savoir, c’est que vous allez devoir assumer que vous allez perdre beaucoup de duels, et que c’est parfait comme ça. Car gagner en faisant quelque chose que vous maîtrisez vous empêche d’apprendre quelque chose que vous ne maîtrisez pas.
La troisième chose à savoir, c’est qu’il se peut que certains adversaires n’auront pas les aptitudes ou la façon de se battre pour vous exposer à ce dont vous avez besoin.
Bref, comment on “brute-force” les plateaux?
Choisissez quelque chose qui ne marche pas bien, et appliquez-le en combat contre vos adversaires, tout en restant flexible et patient.
Par exemple, si je considère que je suis incapable de me battre au corps à corps, je peux décider de faire plus de corps à corps contre mes adversaires. Donc contre chaque adversaire en combat libre, je vais me décider à faire pratiquement du combat à courte portée pour le saisir en corps à corps et le frapper pendant que je tiens son épée.
L’autre exemple peut être que je pare très mal, et quand ce n’est pas moi qui attaque, souvent je me fais toucher. Je peux alors décider de me battre en exigeant de moi-même de parer 2-3 coups avant d’être libre d’attaquer.
Un autre exemple peut-être que je veux faire plus d’estocs, car mes estocs résultent souvent en double-veuves ou bien se font parer et je me fais toucher. Je décide donc de me battre plus à longue portée pour faire des estocs plus souvent pour tenter de développer cette habileté.
Il est d’abord évident que de faire du combat en priorisant une technique ou une approche dans laquelle vous êtes mauvais fait que vous allez perdre davantage.
Ensuite, je parle de patience car il est très humain de vouloir ne focaliser que sur la technique à faire et d’oublier le reste du duel. Pourtant, sans le reste du duel, la technique ne sert à rien. Elle doit être appliquée dans son contexte et surtout, l’adversaire doit s’y attendre le moins possible.
Donc par exemple, si je veux foncer en lutte, je dois me rappeler que ce n’est pas forcément un bon moment quand mon adversaire recule, quand je ne peux pas prendre de contrôle du fer, etc.
Donc je ne suis pas obligé de charger comme un train à chaque duel. Je peux échanger des coups avec l’adversaire, reculer pour l’encourager à avancer, et tout à coup foncer pendant qu’il ne peut pas reculer. Je peux le feinter puis le faire paniquer pour qu’il descende son arme et me donne un contrôle du fer, etc.
Votre objectif dans le duel ne doit pas être de “placer la technique” mais en fait, de développer votre habileté à provoquer et identifier des contextes où elle s’utilise, et ensuite de l’utiliser aussi bien que possible, quitte à échouer.
Donc encore une fois, si je veux pratiquer mes parades, je ne peux pas le faire en attaquant sans cesse. Je ne peux pas vraiment le faire non plus en reculant hors de portée. Et je ne peux pas le faire contre un adversaire débutant faisant des assauts suicidaires dans mes tibias.
Mais si je veux pratiquer mes parades, je vais devoir m’approcher d’un adversaire, jouant entre la longue et la moyenne portée, et m’exposer à des coups et les parer. Je vais alors viser à me dire “je veux en parer quelques uns avant de me permettre d’attaquer en retour” me forçant à parer plutôt que de prendre la solution libératrice de l’assaut à outrance.
Pour ma part, j’ai longtemps fonctionné sur le mode d’avancer et attaquer sans cesse, voir foncer au corps à corps. Éventuellement, mes adversaires ont appris à bien reculer et parer et riposter et me frapper sans que je me rende. Tout à coup, j’étais exposé au fait que je n’étais pas capable de parer de bonnes attaques, ni n’étais-je capable de combattre un adversaire qui restait hors de portée.
J’ai dû travailler sur ma défense, et pendant un bon moment, j’ai appris à me battre en reculant et en remettant des coups seulement lorsque l’opportunité se présentait. Ce n’était pas assez bien sûr, car je devenais vulnérable au rythme de l’adversaire. Mais en me forçant à faire cela, et en restant alerte audit rythme de l’adversaire, j’ai appris à identifier ses signaux, j’ai appris à identifier les moments ou il allait attaquer, j’ai appris à identifier les angles dans lesquels je serais en sécurité pour riposter, etc.
Ce faisant, j’ai appris la communication inhérente à un duel. Reculer, c’était tel que tel. Mais en étant à l’écoute de l’adversaire, c’était bien plus facile d’anticiper quand il allait attaquer, et de quelle façon. C’était donc plus facile pour moi ensuite de me mettre dans une situation de défense et dire “je vais parer 3-4 coups”, donc j’ai pu optimiser ma défense.
Donc en m’exposant à une situation que je ne maîtrisais pas, j’ai éventuellement développé des prérequis très humains (comme l’écoute de mon interlocuteur) ou transféré des habiletés réelles que j’avais déjà pour les appliquer au contexte du duel (comme la connaissance du non verbal) afin de rassembler les prérequis nécessaires pour une bonne défense.
Avec cela, c’était plus facile de parer en le voyant venir d’avance, et donc bien plus naturel éventuellement de riposter car si j’étais certain du coup que j’allais recevoir, c’était facile pour moi d’avoir déjà pris la décision de frapper en retour et dans l’angle qu’il ne pourrait pas parer ni contrer.
En conclusion, si vous avez un plateau, prenez une compétence dans laquelle vous n’êtes vraiment pas très bon (et idéalement, une compétence fondamentale, comme parer ou prendre le centre, etc.) et exposez-vous à ce contexte.
N’en abusez pas non plus avec chaque adversaire, soyez patient, car si votre adversaire sait que vous allez faire une seule chose, il va s’en protéger voire éviter le contexte et vous ne pourrez plus pratiquer, donc mélanger des duels purement libres et des duels ou vous pratiquez votre objectif.
À force, vous allez effriter le mortier de cette barrière entre vous et les marches, et vous allez monter d’un cran.
Les vrais défis de battre un plateau, c’est d’accepter de regarder en face ses faiblesses et d’accepter qu’il va falloir lutter contre soi-même en faisant quelque chose qu’on est inconfortable à faire jusqu’à ce que ça se place.
Rappelez-vous, vous avez des vidéos mensuelles de coaching, des instructeurs et bien d’autres gens. Dites-leur ce que vous essayez de pratiquer, et demandez-leur si vous êtes incapables de le pratiquer s’ils peuvent vous donner un truc.