Centre et Riposte : Les Lois d’un Escrimeur Hérétique.

Centre et Riposte : Les Lois d’un Escrimeur Hérétique.

Au fil de mes nombreuses années à pratiquer la scrimicie – cet art québécois du duel où l’acier croise le savoir-fer dans un échange brutal et calculé – j’ai vu des structures émerger du chaos. D’abord vagues, elles se sont affinées avec le temps, jusqu’à se réduire à ce que j’appelle des lois fondamentales de la scrimicie. Ces lois, simples et puissantes, distillent la complexité des échanges en principes universels, presque des vérités physiques du combat. Permettez-moi de vous en offrir un exemple, humble lecteur, et que vous en fassiez ce que vous voulez – pour percer des mystères du duel ou semer un joyeux désordre dans vos combats, selon votre éthique.

Considérons le contrôle du centre, ce point invisible, mais souverain dans l’espace entre deux escrimeurs. En le tenant, je m’arroge un avantage stratégique et mécanique : le chemin le plus court vers mon adversaire, donc la vitesse. (Et la vitesse, dans un duel, est une maîtresse capricieuse qui récompense ceux qui la courtisent bien.) Pendant ce temps – un temps précieux, chaque seconde pesant lourd face à une lame – mon adversaire est désavantagé. S’il pousse contre ma lame,  je la retire et le frappe dans son élan avant qu’il ne réagisse.  S’il contourne, il perd du temps, et je n’ai qu’à tendre mon arme pour le toucher – ou le forcer à se défendre. Dans les deux cas, je dicte le rythme, je limite ses options, je garde l’initiative. Pourquoi ? Parce que la vitesse naît de la distance, une réalité aussi concrète que le poids de l’épée que je tiens.

Ce que je viens de décrire cache d’autres lois fondamentales de la scrimicie, par exemple: “si mon adversaire m’attaque, j’attaque son arme.  Et si il attaque mon arme, je l’attaque directement.”  Simple à dire, redoutable à vivre.  Analysons cette loi ensemble. Quand l’adversaire vise mon arme, il cherche à me désarmer ou à limiter ma capacité d’attaque. En répondant par une attaque directe sur lui, je renverse la situation : je passe d’une position potentiellement défensive à une action offensive qui le met sur la défensive. Je deviens l’acteur principal, et lui doit réagir – un basculement psychologique et tactique. Quand il m’attaque directement, dévier son arme me permet non seulement de neutraliser sa menace, mais aussi de repositionner mon contrôle au centre. Cela me redonne le chemin le plus court, donc la vitesse, et donc l’initiative. C’est une boucle élégante où l’initiative et le centre s’alimentent mutuellement.  Cette loi est simple à énoncer (« attaque son arme ou attaque-le »), mais riche en implications. Elle demande une lecture rapide de l’intention adverse et une décision immédiate – des compétences qui, comme vous le savez probablement, permettent de gagner nos duels. C’est une stratégie qui récompense la bonne action et la présence d’esprit, des qualités essentielles en scrimicie.

Ce que j’enseigne depuis des années à mes élèves va au-delà des techniques de base : c’est une philosophie du combat, une façon de penser le duel en matière de contrôle et de stratégie. « Contrôle le centre, et tu contrôles le duel. » (Et ceux qui doutent encore, je les invite à croiser le fer – l’expérience, comme toute bonne muse, enseigne là où les mots s’essoufflent.) Ce précepte leur donne un cadre clair pour comprendre pourquoi certaines actions réussissent et d’autres échouent, les poussant à raisonner plutôt qu’à répéter des gestes mécaniques. Mon but n’est pas de trancher sur les meilleures réponses – cela demande un jugement, Or c’est précisément le jugement qui doit être enseigné – mais de poser ces observations devant vous, comme un escrimeur dépose son arme après un salut. Que vous les jugiez aussi solides que la gravité ou aussi fragiles que l’alchimie, je ne puis qu’espérer, attendre, et laisser l’expérience comme juge.

Ce texte résout une obsession – la mienne – née de ces années à étudier les duels. C’est une tentative de canaliser mon (ir)rationalité à travers un mélange de tactique, de réflexion, et d’un soupçon d’hérésie (du point de vue d’un puriste). Les lois fondamentales de la scrimicie ne sont pas qu’un guide pour manier l’épée; elles invitent à nous transformer, à voir dans chaque échange un reflet des luttes humaines. Alors, cher lecteur, qu’en ferez-vous? À vous d’agir.

– Gabriel Mailhot